Le Label Inside Out, outre le fait de signer de nombreuses formations ou artistes majoritairement dits progressifs, possède à coup sûr du nez.
Rappelons que pas moins que Spock’s Beard, Pain of Salvation, Ayreon, Devin Townsend ou autres Symphony X sont (ou ont été) sous contrat chez IO.
On pourrait même aller jusqu’à associer un label de qualité presque garanti à tout artiste signé chez eux. Et Riverside ne fait pas exception à la règle. Plus encore, ce groupe peut se targuer d’être une des fiertés du Label synonyme de qualité.
Comment décrire cette musique belle et étrange à la fois ? Et bien, un bon point de départ serait de s’amuser à jouer au jeu du catalogage. Les mauvaises langues diraient : le jeu de la mise en boîte à chaussures. La proposition la plus fréquente (emprunte il est vrai d’une certaine autosatisfaction quelque part justifiée) tiendrait en trois mots : Rock Progressif Atmosphérique. Et là on se dit qu’en effet c’est assez fidèle à la réalité musicale de ce combo si particulier. A l’écoute des premières notes, on ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser aux Ecossais de Anathema (qui sont les figures de proue de ce genre). Qui dit Inside Out dit d’abord bel objet. Les « CD packaging » sont souvent très beaux et luxueux. Un message sous forme de clin d’œil aux amateurs de musique. La couverture et livret sont évidemment une œuvre d’art à eux seuls. Avec ici, en plus de la seule composante esthétique, un message très actuel mais au fond intemporel. Que Pink Floyd nous glissait déjà avec son mythique « The Wall » ou Radiohead avec son pas beaucoup moins célèbre « Ok Computer ». Celui d’une société quelque peu en perte de supplément d’âme. Qui formate, et on connaît la suite. Cliché, me direz-vous ! Sans doute, et simplificatrice également ! Mais idée qui reste au centre de la nature même du Rock, à fortiori de celui qui se veut un tant soit peu alternatif.
Travis Smith signe un superbe Artwork (comme à son habitude). Et Mariusz Duda (chant et basse) de l’évoquer souvent fièrement dans les interviews qu’il accorde au nom de ce groupe qui nous vient de Pologne.
Au niveau de la musique-même, comment ne pas être dithyrambique face à un tel joyau ?
New Generation Slave nous fixe très vite sur la qualité de ce groupe polonais. Musiciens incroyables et sobres et une première plage qui nous laisse constater de façon évidente que ces quatre musiciens jouent avec une complicité évidente. A noter que le batteur en particulier nous fait partager l’étendue de son talent. Dès l’intro de ce magnifique morceau, le riff nous fait immanquablement penser à celui de Tommy Iommi sur le Paranoïd de Sabbath. La structure rythmique du morceau est superbe : complexe et limpide à la fois. Et il n’est pas usurpé d’élargir le spectre musical qui influence Duda à partir de ce seul morceau. Au-delà de Sabbath, le style lorgne vers les Seventies.
Autre particularité de cette formation : Mariusz Duda se trouve être le bassiste ET chanteur. Comme il le révèle dans une des nombreuses interviews qu’il a accordées à la presse spécialisée, il avoue adorer la batterie (drums) et le rythme en général. Et en tant que compositeur et chanteur, il prête beaucoup d’attention aux lignes des mélodies et à la façon dont elles sont structurées. C’est pourquoi il s’estime être idéalement placé pour appréhender et apprécier la musique progressive. CQFD serions- nous tentés d’ajouter !
Et puis, au-delà de toutes les influences décelables, le groupe possède son identité (forte), sa patte. Une touche de « stoner » mais pas un « stoner graisseux » à la Cathedral ou autres Monster Magnet, mais plutôt à la Kyuss ou à la Queens of the Stone Age. Il ne serait pas étonnant que l’aspect un peu planant de certains albums de Kyuss ait influencé cette formation. Mais Duda doit la genèse de son inspiration musicale à des exercices de piano (qu’il qualifie lui-même d’ennuyeux) que ses professeurs de musique lui donnaient à faire étant plus jeune. Comme mélomane, il flashera sur Vangelis et comme musicien confirmé sur des claviéristes tels que Banks ou Wakeman. Le message est clair : Duda est un orchestre à lui tout seul. Et fort naturellement le leader et principal compositeur de Riverside.
Avec The Depth of Self Dillusion, le spectre d’Opeth rode mais avec bienveillance, c’est une évidence.
Les mélodies vocales de ce morceau s’impriment dans la tête en caractères gras. Ou plutôt devrais-je dire en caractères légers comme un nuage. Et ce non pas par le caractère racoleur mais par une évidente beauté épurée : tout simplement ! Déjà ce morceau s’annonce comme un chef-d’œuvre. Une architecture musicale cristalline solide et souple à la fois. Dont le maître d’œuvre ne peut être que Mariusz Duda, à l’évidence.
Le Rock Seventies frappe à nouveau à la porte avec Celebrity Touch. Un titre tout en ironie dont les paroles sont sans équivoque et valent le détour. A noter l’intervention du fameux mellotron si caractéristique de la musique dite « trippante » issue de cette décennie. On constate que Duda est un magnifique bassiste en plus de tout le reste. Et on ne peut s’empêcher de penser que cet album a été confectionné « aux petits oignons ». Et ce presque avec un niveau d’exigence digne des plus grandes Bandes Originales du cinéma.
Ambiances cinématographiques dignes des albums de Kevin Moore (ancien Dream Theater) avec son projet culte Chroma Key. Le piano associé aux mélodies vocales belles et épurées donne un résultat unique. Duda saupoudre le morceau des instruments juste comme il faut.
Feel Like Falling fait un peu penser aux albums d’IQ (formation de Rock Progressif cultissime). Avec une touche de Porcupine Tree ou Blackfield. Les références citées ici témoignent de la toute grande classe de Riverside qui ne peut qu’atteindre les plus hautes cimes de la musique alternative. Et je ne précise délibérément pas le genre : nous nous trouvons ici bien au-delà de toute considération de genre musical.
J’évoquais Radiohead et c’était sans me douter que Deprived m’y ferait penser. Ce morceau, un peu à l’image de tout l’album, n’est pas vraiment gai ou optimiste. Mais il est empreint d’une belle tristesse. Le beau l’emporte d’ailleurs sur le triste et l’aspect nostalgique fait partie intégrante du charme de cette réalisation. La section rythmique nous dévoile ici ses intonations Jazzy.
En tant que grand fan de Malmsteen (et ce dernier s’étant souvent essayé aux guitares Flamenco un peu baroques : mélange typique du célèbre dévaleur de manche), je ne peux m’empêcher de retrouver un peu de ça dans l’intro d’Escalator Shrine. Mais très vite le Rock Seventies reprend le dessus. Comment diable ces gars peuvent-ils être aussi bons ? Album de l’année ? C’est évidemment subjectif ! Mais cette subjectivité est partagée par de nombreux confrères. Pour revenir au morceau proprement dit, il s’agit ici du morceau de loin le plus progressif de notre galette. Le solo de claviers à la moitié de la plage en est un signe qui ne peut tromper. Et le Sabbath de Ozzy n’est jamais bien loin.
Coda est une dernière plage qui termine l’album tout en émotions. Et ce nous prenant aux tripes. Epuré et forcément très personnel !
Shrines of New Generation Slaves, en plus de constituer l’un des moments forts des sorties 2013, nous fait découvrir un groupe, qu’on savait passionnant, au sommet de son art. A écouter sans modération.
Ignacio